C'est de l'épicerie de ma maman, dont je veux parler.
Tout d'abord l'Enseigne, une longue liste :
Epicerie-Primeurs-Journaux-Chaussures-Laines-Graines-Dépot de gaz-
Pour le gaz, la marque est "Berrogaz".
Deux autres dépôts dans le village :
- Maurice Malaval : "Butagaz"
- Emile Malaval : "Primagaz"
Les familles ne possèdent qu'une bouteille et doivent être livrées dès leur demande.
Nous sommes jaloux de notre marque car les fournisseurs n'échangent pas les vides de marques concurrentes.
Pour les jours d'ouverture de ce commerce : 7 jours sur 7, et cela tous les jours de l'année, dimanches et jours fériés. Pour les horaires : Les clients peuvent sonner à toute heure, même très tard ; bien souvent, les mêmes sont... trop matinaux ou trop tardifs...
Le 1er Mai aurait pu être pris comme pris comme jour de congé, le MIDI LIBRE ne paraissant pas ce jour là, mais cette notion de congé n'effleure personne à cette époque.
Certains produits alimentaires sont vendus "en vrac" :
- les légumes secs (stockés dans les profonds tiroirs du comptoir)
- l'huile : les clients amènent leur "propre" bouteille, culottée et très grasse, et attendent le plein, jusqu'au ras du bouchon.
- Les bouteilles en verre sont consignées : Vin-bière-limonade. Et pour les consignes : galère !
Beaucoup disent :"Ne compte pas le prix de la consigne, je reviens tout de suite ou demain, et je ramène la bouteille vide... et on oublie de ramener, et le prix du verre est souvent perdu pour le vendeur.
- Le fromage est à la coupe, et le gruyère râpé à la demande, avec une petite machine à manivelle.
Peu de produits frais dans les rayons, les réfrigérateurs sont encore inexistants.
Mon père trouve le touriste bien exigeant de vouloir du beurre dur, et dit que de toutes façons, le temps d'arriver au camping, il sera ramolli. Le campeur n'ayant pas de glacière non plus !
La morue est livrée salée, dans de grandes caisses en bois. Pour les vendredi, elle est proposée dessalée. Pour cela mon père met les morues entières dans des cageots qu'il immerge dans l'eau du Tarn, pendant 24 heures. Comme il cultive le jardin de Monsieur Deltour, il a accès au pré, au dessus de la digue. Quelquefois des blagueurs cachent les cageots, juste le temps d'affoler mon père ;-( Une fois cette morue dessalée, elle est fractionnée, étalée sur la table de la cuisine et attend le client qui l'a réservée (le nom est mis sur chaque morceau).
Trop souvent, le client vient décommander . Raison invoquée : "Mon homme a pêché des truites dans le Tarn" ! Pas de congélateur non plus : nous mangeons donc de la morue plusieurs jours de la semaine... (mais à différentes sauces)
Parmi les divers articles destinés à la vente, une petite boite m'intrigue. Elle n'est pas mise en devanture, mais plutôt cachée à l'arrière du comptoir. Pourtant, une elle belle illustration, et le nom du produit : "Le Pescadou, appât pour la pêche à la ligne". En fait, dans cette boite sont rangés des petits flacons d'une vingtaine de centilitres. A chacun de ces "bouteillous", il faut rajouter 1 litre de la bonne eau de vie locale, et l'on obtient... du "Pastis" - Vue la fausse information imprimée sur la boite et les flacons, on peut penser qu'il y a là quelque chose d'illégal à cette vente - Prohibition ? ... il y a prescription !!!
Maman fait la lessive au Tarn (à Burle en hiver) dès 6 heures du matin, afin d'être fin prête pour servir le premier client. Et le dimanche, elle va à la messe de 6 heures, pour la même raison.
En saison estivale, le commerce est implanté dans le magasin, niveau route nationale (aujourd'hui, le trottoir).
Dès l'équinoxe d'automne, amenant les risques de crues, le magasin s'aménage au 1er étage, au niveau de la rue basse. Là, le client peut entrer par la rue basse, mais aussi traverser la cuisine à tous moments. Il s'y arrête souvent pour nouvelles, discussions, partage d'un café... celui qui habite un village des environs, peut même y attendre le "courrier" (service régulier de cars).
Cette épicerie n'a pas de dépôt, et lors de la crue du 25 Septembre 1965, toute la marchandise pérît : celle qui est montée au 1er étage (niveau rue basse), mais aussi le sucre et les produits craignant l'humidité qui sont stockés, par précaution, dans la chambre du 2ème étage. L'eau est montée de 6O cm à ce niveau là. Depuis le trottoir actuel, cela fait une hauteur de 6 mètres. En conséquence, c'est la perte de tous les articles : même les boites de conserve ne sont plus vendables, l'étiquette (papier à l'époque) est détruite. Le nettoyage étant long et laborieux, les lentilles ont le temps de germer avant d'être évacuées. Le limon du Tarn est fertile.
En plus de la perte de tous les articles, le mobilier et les divers objets ont, comme chez tous nos voisins, soufferts... quand ils n'ont pas été emportés ! Je ne sais comment mes parents ont pu remettre sur pied ce commerce, après ce sinistre.
Je n'ai jamais vu maman agacée de quoi que ce soit, elle vivait son métier comme services rendus, de tout son coeur. Nous avons été Epiciers sur 3 générations - Ma grand-mère Aline, avait une poussette à trois roues, contenant quelques denrées, qu'elle proposait de porte à porte, sous l'appellation d'un groupement : "Les planteurs de Caiffa" - (ce triporteur est en instance de rénovation...)
- FIN - (Texte de Vivi)